Pourquoi ce titre
d’article ? Parce qu’il me semble que ce qui est réel dans nos comportements physiques est tout aussi vrai dans notre conduite psychique. Il me souvient cette histoire, déjà citée ici,
d’un moniteur de pilotage moto demandant à ses stagiaires pourquoi une voiture,
sur une route toute droite avec un seul arbre sur son bord, sortit de la route
et percuta l’arbre. La solution était : « Parce que le conducteur
regardait l’arbre » ! Nous savons que ceci, tellement vrai au
physique, l’est tout autant au psychologique. Le vertige qui prend certaines
personnes dans certaines conditions produit une sensation d’aspiration vers le
vide, et les personnes tombent. La personne qui est sure de perdre son match le
perd. La personne qui est sure de gagner sa négociation, la gagne. Elle n'est pas
sûre parce que tous les éléments et conditions sont réunis mais elle gagne
parce qu'elle le croit. On se souvient de l'adage rapporté par Antoine de
Saint-Exupéry : "Ils l'ont fait parce qu'ils ne savaient pas que
c'était impossible".
Il me souvient de cette
personne me disant « J’étais sure que j’allais me faire avoir » et de
celle-ci m’indiquant « On ne peut pas discuter avec ces gens-là et
d’ailleurs ils ne discutent pas ». Je me demande juste si c’est de la
prémonition, de la connaissance ou de l’induction. L’expérience me force à
penser que la troisième hypothèse est la plus probable.
Il se trouve que nous
avons des comportements récurrents que nous avons aussi érigés en maximes
« Je crois ce que je vois », que l’on peut tout aussi aisément
retourner en « Je vois ce que je crois » car nous savons fortement
projeter nos préoccupations et nos idées sur le réel autour de nos vies. En attendant je me rends compte
tous les jours, à l’instar de l’approche de Jacobson (Palo Alto) sur la
communication, que je vois ce qui me préoccupe. (Comme je l'ai déjà cité, quand mon épouse attendait notre premier enfant, subitement, il y avait plein de femmes enceintes et des landaus dans notre ville. Avant, je vous le jure, il n'y en avait pas...). Mais je sais aussi que les deux
premières assertions, « Je crois ce que je vois » et « Je vois ce
que je crois », ne sont toujours pas exclues. Ainsi, ma
pensée a une action déterminante sur mon action. Alors donc, pourquoi ne pas en prendre
son parti ?
Comme pour les
phénomènes de mémoire, dont un moyen âge, au pauvre usage de l'écriture, était
devenu expert, accrochons nos intentions aux maisons et monuments sur notre passage.
Accrochons nos intentions dans le livre de nos vies et regardons venir les
réalisations. C'est ça, le processus ! Plus que la prophétie auto-réalisatrice
de Merton montrant la contribution pratique du sujet à l'action dans le sens de
sa propre conviction, la prophétie auto-réalisante de Watzlawick montre combien
ce que je crois produit les postures déterminantes dans la réalisation des
événements. Ainsi ce que je pense de l'autre l'invite fortement, en ma présence, à le devenir.
Mon pouvoir est donc de
rendre réelle l'idée qui me plait ! Ma vision guide bien mes pas, et
les pas de ma vie. Je ne devine pas à quel point ! L'idée que je me fais de la situation, de l'événement à vivre façonne le réel. L'astronome Trinh
Xuan Thuan a montré combien l’œil de l'observateur influence le
résultat observé. Des expériences en biologie ont montré que l'intention
de l'observateur influence le comportement des cellules et bactéries. Nous
comprenons alors que l'influence n'est pas que mécanique...
Ainsi, penser serait-il aussi agir pleinement ? Alors, bougez ! Agissez ! Nous passons trop de temps à
attendre que quelque chose nous arrive... mais quoi ? Le penser, l'imaginer est donc déjà
un pas réel et concret vers une bonne issue de la problématique, vers l’avènement de la situation, de
l'événement attendu. Mais poussons le bouchon plus loin encore...
Si l'on considère que ce
qui me préoccupe détermine ma communication, et si, comme le disait Lacan,
quand je parle, je ne parle que de moi, alors l'autre n'est donc que le miroir
de ce que je pense de moi, ce que je juge, reproche, espère. C'est comme ça
que je vois cet autre et c'est avec ce personnage-là que j'entre en relation.
Quand, comme le dit Paul Watzlawick, mon intention et ma considération font
"prophétie réalisante", j'imagine le niveau de reconstruction et
d'intrusion que je fais chez l'autre.
Alors donc, j'aurais tout intérêt à
maîtriser ma pensée, mes impulsions, mes sentiments si je veux orienter
le résultat vers les meilleures fins. Comme le pilote, ne regarde pas
l'obstacle au risque d'accident mais là où tu veux aller, le passage... Si je
développe une pensée ouverte et positive, je suis déjà un acteur du succès. Si j'ai le regard posté sur les problèmes, je guide mes pas à leur rencontre.
Mais allons encore un
peu plus loin. Il est donc possible que l'artiste qui imagine une œuvre
accomplisse et travaille à sa création. Michel Ange disait qu'il avait "dégagé
David de la pierre", comme si l'œuvre préexistait à son travail, lequel ne
serait alors qu'une révélation, une mise à nu du réel de l'œuvre. Sa pensée
l'avait déjà réalisé, soit mise au réel. Je peux dire alors que, quand je
retourne à l'imagination, je reviens à moi-créateur. La meilleure pensée de
succès serait donc : "Tout est parfait ! Je veux juste découvrir à quel
point c'est parfait...", un point c'est tout. Cela m’apparaît comme si la
phase de réalisation n'était déjà que celle indiquant la finalité de la contemplation.
Le musicien bluesman et
guitariste Eric Clapton disait dans une interview que la musique le
traversait, comme si elle venait d'ailleurs. Qu'il se ressentait comme un
"passeur" de cette musique, un transmetteur, une
antenne. Rimbaud écrivait ce poème célèbre autour de cette
phrase marquante et définitive : "Je est un autre" et il décrit comment il se
regarde créer, il se constate traversé par l'œuvre qu'il rédige. Tout est alors
comme si la pensée de l'œuvre précède l'artiste, lequel ne serait alors qu'un
médium entre la conscience et l'objet réel. Ces artistes là parlent de la création
comme d'une médiumnité.
Nous sommes alors là à
un carrefour où se rencontrent l'hypothèse que la pensée crée le réel et celle
que le réel est une pensée à révéler, à "réaliser". Ces deux
hypothèses se posent comme les deux faces d'une même pièce de réalité. La
raison ne nous laisse pas le recevoir, mais l'intuition et la pratique
nous y invitent. Alors peut être devrions nous formuler une troisième hypothèse
qui poserait que le réel existerait d'abord en pensée, en conscience. C'est une
des déductions de la physique quantique, laquelle bouscule notre rationalité.
Il y a quelques éléments
qui troublent le chercheur mais pas le musicien : à travers le monde, la
gamme musicale pentatonique est la plus répandue, universellement repandue. On lui trouve des origines
diverses. Mais partout dans le monde, elle a la même structure et fonctionne de
la même manière. L’ethnologue Bruno Etienne, spécialiste des religions
anciennes, indiquait qu’à travers le monde la religion la plus répandue n’est
pas celle du livre et ses diverses déclinaisons, mais le chamanisme, ou animisme. Il avait constaté
que des rituels étaient parfaitement identiques, aux mots près, dans des
populations éloignées de plusieurs milliers de kilomètres et qui ne s’étaient
jamais rencontrées.
Y aurait-il une pensée concrète
ou consciente du réel qui le fonderait ? Le réel serait-il d'abord conscience ?
Ce monde métaphysique serait-il l'ordre des choses ? Notre pensée, notre
imaginaire, notre croyance serait l'émanation de cette conscience, la partie
personnelle d'une conscience universelle. C'est bien ce qu'imaginait Carl
Gustav Jung dans sa conception d'un inconscient collectif. Il pensait même que
les grands mythes sociaux, ceux identifiés par la mythologie grecque ancienne,
revenaient dans la vie sociétale, comme des lames de fond, colorer, organiser
la vie et la pensée sociale, jusqu'à régir les comportements sociaux.
Déduites de cette
démarche, l'hypothèse émerge que, quand nous tombons malades, ce sont
nos actions qui ne sont plus en adéquation avec nos intentions, qu'il y aurait
un conflit intérieur, une distorsion entre la pensée et sa mise en œuvre et non pas une simple agression extérieure.
L'idée d'archétypes sociaux nous renvoie à l'hypothèse que le monde, l'univers,
ne sont pas régis par la raison, par une logique déductive, mais par des
modèles, sortes de stéréotypes qui se répéteraient à l'infini,
comme entre deux miroir opposés. C'est aussi là une image produite par la
réflexion autour de la physique quantique. La réalité du monde nous précéderait
dans sa conscience...
Certains en font des
déductions qui nous surprennent. Un peut comme le ferait la psychanalyse, quand elle aide les gens en leur permettant de se réaligner avec leurs visions du monde, retrouvant un équilibre. Il s'agit de réaligner leurs visions du monde, des choses, des événements qu'ils vivent ou
ont vécu, avec eux même, ce dans quoi ils s'inscrivent. Ainsi, dirait-on : Je ne peux pas aider les gens si je n'ai pas fait le chemin... Il
faut commencer par accepter ce qui se passe, et de ne pas savoir.
La question du désir est
ainsi reposée : ce que je cherche en fait, c'est ma complétude, pas les choses
qui me donneraient l'illusion de l'atteindre, illusion de l'accomplissement de
soi par l'objet de consommation alors que ce qui tend mon désir est seulement
l'état que cet objet serait sensé produire : sérénité et complétude.
Nous retrouvons là les voies de sagesses orientales, comme le
bouddhisme. Pour être heureux il ne faut pas avoir envie d'avoir raison...
Il nous faut seulement incarner le changement que l'on veut voir dans le monde, ou chez ses amis. C'est ici une réflexion du Mahatma Gandhi.
Mais ouvrons encore un peu notre regard jusqu'à des modes marginaux. Il me semble qu'il y a ailleurs encore d'autres petites choses à remarquer. Une petite expérience va nous donner à voir que nous vivons en permanence avec deux niveaux de vision : une
vision intérieure les yeux fermés et une vision extérieure les yeux ouverts. Nous imaginons habituellement qu'en fermant les yeux, en éteignant la lumière, nous n'allons plus rien voir,
que du noir, et dans ce noir nous nous mettons à (penser que l'on va) voir quelque
chose que les yeux ne voient pas.
Ainsi, on
voit la pièce comme on la connait mais avec des éléments qui habitent notre
imaginaire. Par exemple, je suis dans ma chambre et j’éteins la
lumière. Je vois dans le noir les meubles de la pièce comme si je les voyais
vraiment. Je sais où ils sont, où je suis et donc je sais ce qu'il y a là tout
autour de moi. Seulement je me rends compte aussi que si j'allume la lumière,
je ne vais pas voir exactement ce que je voyais dans le noir... comme si, dans
le noir, je voyais tout autour de l'objet dans une lumière égale, depuis une
place "idéale" dans la pièce (une place "absolue" comme si
en ouvrant les yeux je ne voyais que depuis une place "relative"). Eh
bien, la réalité, cette conscience du monde, fonctionne exactement de la même
manière : je vois ce dont je me souviens depuis la place d'observation idéale,
ma posture de vie. Le réel est ailleurs, différent, si j'allume la lumière...
Ainsi, ce que pose Jacobson dans l'approche sur la communication, à Palo Alto dans les années soixante, va bien plus loin que l'apparente "distorsion" de notre vue, comme l'idée d'un filtre à regarder le réel. Non, l'invention de la réalité, comme l'écrit alors Paul Watzlawick, est bien plus large et bien plus profonde. L'imaginaire, ou la conscience du réel autour de moi fait aussi réalité et participe à son "construit". Mais c'est plus ample encore. Ce que pense et pose la
sociologie clinique, et c'est sa posture, est bien que l'observateur n'est ni neutre ni innocent : il est un participant à ce qu'il regarde, un contributeur au phénomène
qu'il observe. Sa présence a une influence directe sur ce qu'il considère. (Cf
les travaux de Trinh Xuan Thuan, Voyage au cœur de la lumière, découvertes-gallimard, 2008).
Ceci
renvoie au constructivisme et à cette évocation par Paul Watzlawick à propos de
la prophétie "réalisante". Selon le résultat de ses travaux au cours
des années soixante, l'intention, la préoccupation, influencent le réel et le
comportement des acteurs à tel point que notre intention devient la directrice
de notre vie. La recherche de l'harmonie dans notre vie, de notre tranquillité,
car il semble que ce soit essentiellement cela qui nous aspire, réside alors
dans l'adéquation entre notre posture de vie et notre pensée profonde.
Ainsi, cinq indicateurs pourront me dire que je vais dans le bon sens de ma vie :
1 - Le plaisir que je
prends à le faire. Si vous n'aimez pas, changez de métier. Il nous faut faire
les choses "inconditionnellement", soit sans intérêts, mais parce que
c'est fun. (Ecouter son "Fun")
2 - Avancer pas à pas et
laisser venir sans forcer ni se forcer (Prendre ce qui vient)
3 - Saisir les défis que
la vie nous propose comme des opportunités à rebondir (Vivre pleinement
l'aventure de chaque pas)
4 - Rester 100 %
responsable pour sa vie car ce n'est pas la faute des autres ou du monde entier
si c'est compliqué (Agir, agir, agir)
5 - Ne pas travailler
par objectif mais "en direction", au sens (Avoir une vision projetée et le sens de la contribution).
Voilà donc un tableau
très brièvement peint, et vite tracé, une hypothèse du réel très hâtive. Elle
reste à être repensée, contemplée, mise à l'épreuve des faits, ou de toute autre
démarche qui nous permettrait d'en comprendre et produire le "dénouement", comme
si la réalité était un nœud de nature, sans pour autant ne rien jeter de la
copie, ce dont la raison (rationalité) nous a bien donné l'habitude. Alors, il nous faut travailler et retravailler nos visions car nous savons à quel point elles guident nos pas.
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 26 avril 2016
Publié le mardi 26 avril 2016
Lire aussi : "Le sage et l'enfant"
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