A l’instar de l’écoute active rogérienne*, il nous
faut penser les événements que nous vivons davantage en connexion avec
« les réalités actives » de notre environnement, tout en sachant davantage les déconnecter de nos préoccupations et intérêts personnels. Cela, nous le savons bien. Nous avons alors à penser les choses dans un lâcher prise qui nous rend disponible à la nouveauté, à
l’inattendu, aux signaux faibles. C’est cela développer la pensée active. Elle
est alors bien plus productive et efficiente que toute autre.
Qu’est-ce qu’une réalité active ? Si je pense le monde
de manière occidentale (selon la culture des religions du livre qui ont
fait le "monde moderne"), je vois une collection de choses,
d’objets et de phénomènes autour de moi que la science pense
isolément : « toute choses étant égales par ailleurs, dans le
phénomène que nous considérons… etc. ». La démarche scientifique et la pensée qui
l’occupe ont la particularité d’imaginer que le monde est une collection
d'objets régie par des lois, de choses qui se détaillent. C’est par la catégorisation et le classement
que nous connaîtrions mieux le monde, et qu'ainsi nous pourrions mieux le
comprendre. C’est un peu comme si, assistant à une partie de carte, je détaillais les
participants, les cartes et le mobilier, décrivant exactement les couleurs et
formes pour connaître ce qui se passe là, et expliquer les règles du jeu : une gageure !
En effet, il y a, dans tout ce qui nous entoure, une
dynamique qui fait, par exemple, que le ciel et le paysage devant ma fenêtre
ne sont pas les mêmes quand je me lève et quelques heures plus tard, ni même
quelques jours après, et a fortiori quelques mois ou années suivantes. Le paysage
sous ma fenêtre ne sera plus jamais celui que j’ai contemplé ce matin et ce
qu’il est ce matin, il ne l’a jamais été… Pourtant, je peux dire que les
arbres, les pots de fleurs, la table de jardin, les pavés dans la pelouse sont
toujours ceux qui y étaient l’an dernier. Les mêmes oiseaux, ou leurs
semblables, viennent y picorer. Le cycle de la végétation est bien toujours le
même. Il y a là dans mon regard quelque chose d’une grille
catégorisante et totale que je fais mienne, par laquelle je
décris cette collection de chose par la définition de chacune, par ce que je
sais de leur essence. Alors, mon dictionnaire est ma conscience.
Ainsi donc, si je regarde sous ma fenêtre avec l’œil d’un jeune enfant, je vois des couleurs et des lumières
particulières, le changement de l’image sous l’effet du temps et du climat. Je
vois effectivement bien davantage. Même si ma culture occidentale m’habite
fortement, je découvre des « étant » bien différents, à chaque fois
particuliers. Par leur diversité, ils m’émerveillent, et même parfois m’étourdissent.
Ce sont bien ces réalités actives que je vais
m’attacher à regarder et ce avec le regard le plus accueillant et disponible
qui soit. On dit aussi « avec un regard candide », ou encore
« avec un regard naïf » ou « de profane ». C’est-à-dire que
je ne projette rien de mes a priori et accueille ce qui est là pour le voir.
La qualité de mon regard fait ma conscience du réel. C’est
bien ce que disent les constructivistes derrière le fondateur de cette posture
de pensée, Paul Watzlawick : "la réalité est la conscience que j’ai du
monde, pas le monde". Si le sujet qui regarde disparaît, l’objet de son
attention aussi. Mon critérium, comme l’indiquait Schopenhauer, cet
ensemble de références qui structure mon regard, serait le déterminant majeur de
ma conscience.
Il nous faut donc élargir notre regard, prendre du recul sur
nos a priori, alimenter nos références dans une curiosité constante, développer
cette attention sensible aux signaux faibles. C’est bien là la qualité de
regard d’un enfant.
Peut être imaginons nous qu'habituellement, normalement, nous ne faisons que lire la nature et les lois qui s'y trouvent ? Le philosophe Emmanuel Kant nous répond que " l'entendement ne puise pas ses lois dans la nature, mais les lui prescrit ". C'est bien "nous (qui) lisons dans la nature les lois que notre culture lui trouve", nous rappelait le psychosociologue Serge Moscovici. Le sociologue consultant, Bruno Jarosson, nous rappelle actuellement que "Les faits ne dépendent pas tant de l’observation que de l'observateur et de ses croyances" et il ajoute pour préciser que " toute perception est liée à une intention".
Le philosophe des sciences, Thomas S. Khun, posait que ce sont « Les paradigmes (qui) déterminent la façon d’élaborer les faits »... et Serge Moscovici d'ajouter que « Le succès d’une action ne dépend pas que des outils, ni des moyens, ni de la stratégie mise en œuvre, mais principalement de l’identité que la personne projette dans l’action ». On pourrait également faire référence à la "Sémantique générale" développée par Alfred Korzybski, dans la carte et le territoire.
La boucle est bouclée. Notre science de l'exactitude nous indique que notre perception n'est pas exacte mais attributive dans un mélange d'auto-attribution (nos intentions et intérêts) et d'attribution culturelle (nos grilles mentales de lecture). Nous lisons ce que nous savons déjà. C'est là toute notre "simple" intelligence.
Ainsi, quand un occidental aperçoit une plante, il
l'indique, la relate à ses proches, par ce qu'il sait d'elle. Il la nommera le plus
exactement possible, donnant sa classe et sa catégorie, une écozone
australsienne comme l'équisetum telmateia. Ceci
ne renseignera que l'expert, celui, ou celle, qui sait déjà.
Par contre le busheman de Namibie, devant la même plante, verra peut être qu'il y a de l'eau à quelques mètre en dessous ou qu'une
phacochère est passé là il y a quelques minutes. Ce que la
busheman verra est la relation de l'objet dans un système plus large. Il a culturellement une pensée systémique.
Ainsi, il regarde avec une pensée active, dynamique, et il fait cela depuis quelques milliers d'années. Quant à nous, comment
travailler cela ? Comment parvenir à mettre en action cette pensée active ?
Aujourd'hui, mes outils fondamentaux vont à l'encontre d'une bonne mémoire, et sont une posture de large
conscience. Il nous faut penser multi-causal, multi-contextes, multi-conséquent, multi-culturel, fractal, systémique et voire quantique.
Mais il y a peut être un mode plus simple : lâcher prise et retrouver une regard curieux, attentif et disponible, et être en capacité de "vouloir" ce pas de côté nécessaire. Bien sûr, cela s'accompagne. Cela s’appelle aussi le coaching cognitif.
Jean-Marc SAURET
Publié le mardi 06 janvier 2015
* Carl Rogers, psychologue clinicien américain (1902-87) proposait la pratique de l’écoute active, une écoute en interaction avec son patient.
Lire aussi : "Mettre en oeuvre une dynamique collective"
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